Entre le pouvoir de Bassirou Diomaye Faye et la nouvelle opposition, le round d’observation semble arriver à terme. Ils vont se livrer à une rude bataille politique dont la première manche va se jouer à l’hémicycle.
Il n’aura fallu que quelques petites semaines pour que les choses sérieuses commencent pour le président élu, Bassirou Diomaye Faye, et son Premier ministre, Ousmane Sonko. En perspective de la Déclaration de politique générale de ce dernier, au plus tard trois mois après sa nomination, la majorité parlementaire n’écarte pas une éventuelle motion de censure conte l’actuel gouvernement.
En plus clair, au moment où le régime en place met en avant la reddition des comptes à travers des audits et la déclassification des rapports des cinq dernières années émis par les corps de contrôle comme l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), la Cour des comptes, et l’Inspection générale de l’État (Ige), l’opposition, Benno bokk yaakar (Bby) en particulier, affûte ses armes. « La motion de censure fait partie de la panoplie d’instruments de contrôle de l’action gouvernementale dont dispose l’Assemblée nationale. Sa mise en œuvre relève exclusivement de la compétence des députés quant à l’appréciation qu’ils feront du contenu de la Déclaration de politique générale du Premier ministre (…) Toute velléité de menaces sur les députés de Benno Bokk Yaakaar devient superflue, voire superfétatoire. Élus au suffrage universel direct, les députés de Benno Bokk Yaakaar invitent le gouvernement à respecter le principe de séparation des pouvoirs qui postule que chaque institution de la République s’occupe de ses propres affaires », a déclaré Abdou Mbow, qui réagissait à la sortie du ministre porte-parole du Gouvernement, Moustapha Sarré, ce week-end, considérant une telle démarche comme une stratégie politique visant à « ramer à contre-courant de la vision de la majorité du peuple sénégalais ».
Le “projet” en sursis !
Bien avant, ce cadre de l’Apr avait invité les nouveaux dirigeants au travail, et à mener des actions concrètes, au lieu de ne parler que des rapports
Ces sorties du président du groupe parlementaire de Bby en disent long sur une bataille qui s’annonce rude au niveau de l’Hémicycle.
Le Pastef ne dispose, dans la configuration actuelle, que de 23 députés à l’Assemblée nationale. S’ils peuvent en principe compter sur le soutien des 11 députés du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur), et peut-être aussi sur celui des 26 élus du Parti démocratique sénégalais (Pds) -lequel a appelé à voter en faveur du candidat de Pastef à 48 heures du premier tour-, voire sur le ralliement de l’infime fraction des non-inscrits (3 députés), ils ne disposent pas, sur le papier, de la majorité absolue dont ils auront besoin pour gouverner et mettre en œuvre « le Projet » qui leur tient lieu de feuille de route.
En tout état de cause, il n’est point besoin de rappeler qu’une réforme constitutionnelle leur serait indispensable pour mettre en œuvre certaines des mesures phares annoncées par le président. Or en matière d’approbation d’une loi constitutionnelle, il faut soit un référendum soit d’un vote à la majorité des 3/5 à l’Assemblée nationale (99 députés).
« Si jamais, il y a blocage du fonctionnement de nos institutions, le président de la République prendra ses responsabilités. Parce que son rôle premier, c’est de faire en sorte que nos institutions fonctionnent normalement », a menacé le ministre Sarré, qui n’écarte donc pas une probable dissolution de l’institution parlementaire.
A souligner, toutefois, qu’au Sénégal, le président de la République ne peut dissoudre l’Assemblée au cours des deux années qui suivent l’entrée en fonction de celle-ci, selon les dispositions de la charte fondamentale. En l’occurrence, cela sera possible à partir du 13 septembre 2024, (l’actuelle législature a été installée le 12 septembre 2022). Qui plus est, de nouvelles élections ne peuvent se tenir que « 60 jours au moins et 90 jours au plus » après la promulgation d’un décret de dissolution signé par le chef de l’État.
Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko devront donc composer avec une Assemblée nationale dans laquelle leur parti et ses alliés seront minoritaires -sur le papier tout du moins- jusqu’en novembre 2024 dans le meilleur des cas.
Une situation qui ne manque pas de piquant quand on se souvient qu’en juillet 2023, au lendemain du dialogue national qui s’était déroulé en juin, le président d’alors Macky Sall avait lui-même envisagé de proposer à l’Assemblée nationale, lors d’une session extraordinaire convoquée pour l’occasion, un projet de loi faisant sauter ce verrou constitutionnel, ce qui aurait permis au nouveau chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale sans contrainte aucune.
Il s’agit de l’article 87 de la Constitution. Sa révision permettrait au chef de l’État de dissoudre l’Assemblée nationale par décret, donc à tout moment, simplement après avoir recueilli l’avis du Premier ministre et du président de l’Assemblée, alors qu’aujourd’hui, il y a un verrou : le président ne peut dissoudre l’Assemblée avant un délai de deux ans après les législatives. Les dernières ont eu lieu il y a un an, en juillet 2022. Un tel projet de révision, à un peu plus de 7 mois de la présidentielle ? Le ministère de la Justice, dans son exposé des motifs, avance une « meilleure harmonisation des rapports entre le pouvoir exécutif et législatif » et « la rationalisation du calendrier électoral ».
Dénonçant alors, par la voix de Guy Marius Sagna, « un tripatouillage constitutionnel », les députés de Pastef avaient voté contre ce texte. Ceux de Taxawu Sénégal, le parti de Khalifa Sall, leur avaient emboîté le pas. Pour le non-inscrit Thierno Alassane Sall, le président du pays, Macky Sall, « a renoncé au troisième mandat, mais pas au pouvoir », dit-il. Selon lui, « il voudrait choisir son successeur et le faire cohabiter » avec un Parlement acquis à sa cause.
Mais le chef de l’Etat semble bien conscient de cette problématique. D’ailleurs, il a rencontré le président de l’Assemblée nationale, Amadou Mame Diop -membre de la majorité-, avec qui il aurait abordé une sorte de « dialogue des institutions ». Selon le compte rendu de la presse, ces deux personnalités ont surtout discuté sur la nécessaire collaboration entre l’Exécutif et le Législatif pour mieux faire passer les nouvelles réformes envisagées dont « un projet de loi de finances rectificative et la suppression de certaines institutions en vue d’éviter tout risque de blocage.
Diomaye, sur les pas de Wade ?
Mais en cas d’impossible entente avec la majorité parlementaire, le nouveau locataire du Palais pourrait également adopter la stratégie du Pape du Sopi. En effet, soulignant « l’attitude républicaine » des députés socialistes au lendemain de la victoire d’Abdoulaye Wade, en 2000, un observateur de la vie politique, blanchi sous le harnais, rappelle que ceux-ci s’étaient abstenus de pratiquer toute forme d’obstruction durant l’année où l’ancien opposant avait composé avec une majorité parlementaire, théoriquement hostile avant de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des élections législatives avant le terme de la Législature, en avril 2001, soit treize mois après sa victoire. Il faut en effet, rappeler qu’un an après son élection, le président Wade a bien profité de l’état de grâce qui lui est accordé pour demander au peuple électeur, à travers un référendum du 7 janvier 2001, de lui donner les moyens de sa politique. Parmi ceux-ci, l’élargissement de ses prérogatives pour décider du sort de l’Assemblée nationale dont la majeure partie des représentants appartiennent au défunt régime socialiste. Cette situation fait de cette institution un contre-pouvoir au point d’instaurer une cohabitation qui ne fera que freiner les projets et ambitions du nouveau régime.
Au sortir de cette consultation qui a particulièrement attiré du monde, le projet de Constitution est approuvé avec 94 % des voix. Ainsi donc, en sus du pouvoir de dissolution de l’Institution parlementaire, la Constitution de 2001 place le nombre de députés à 150 et la suppression du Sénat. La Constitution de 2001 venait ainsi rendre caduque celle adoptée, le 7 mars 1963, établissant un régime présidentiel avec la suppression du poste de Premier ministre. Elle sera remplacée par celle proposée par le président Macky Sall en mars 2016, diminuant son mandat de 7 à 5 ans.
Est-ce en référence à cet épisode que Bassirou Diomaye Faye a récemment fait savoir qu’il jugerait sur pièces avant d’envisager une dissolution de l’Assemblée nationale, espérant une attitude semblable des députés aujourd’hui en fonction ? En 2012, Macky Sall, quant à lui, n’avait pas eu à se poser la question de la stratégie à adopter puisque le mandat des députés expirait quatre mois après sa propre victoire à la présidentielle.
Mais, en attendant d’en arriver là, le duo Faye-Sonko pourra toujours gouverner provisoirement par décrets sur les sujets échappant au domaine de la loi. Ils ont aussi la possibilité de le faire par ordonnances si toutefois l’Assemblée nationale adopte une loi d’habilitation leur permettant, pendant une durée fixée par avance, de prendre des mesures qui ressortissent habituellement du domaine législatif. Dans ce cas, un projet de loi de ratification devrait tout de même être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale avant l’échéance fixée par la loi d’habilitation.