La démission du directeur général de Locafrique, Khadim Bâ, du Conseil d’administration de la Société africaine de raffinage (Sar) est un acte administratif aux conséquences économiques et sociales très graves.
C’est une missive qui fait subodorer le pire. Quelques paragraphes couchés sur une page blanche qui ravivent le scénario-catastrophe vécu par le passé, le retour aux moments les plus sombres de l’histoire de la Société africaine de raffinage (Sar). La lettre de mauvais augure risque de replonger le pays dans les années noires d’un quotidien sénégalais rythmé par des délestages et autres ruptures de stocks de carburant et de gaz butane. Elle est signée, paraphée de la main d’un des plus solides piliers de la Sar. L’acte a pour auteur Khadim Bâ himself, dans une correspondance datée d’hier lundi 24 février 2020 et adressée au Président du Conseil d’administration (Pca), Diène Faye. Le directeur général de Locafrique, détenteur de 34% du capital de la Sar, a démissionné du Conseil d’administration dont il est membre depuis juin 2017.
Selon les termes de sa lettre de démission, la décision de M. Bâ est motivée par «l’expansion de (son) groupe (Locafrique) et les engagements que cela implique qui font qu’(il) ne soit plus en mesure de donner la pleine mesure de (ses) capacités au sein du Conseil d’administration».
Ces raisons évoquées par Khadim Bâ sont enveloppées d’un léger voile de «diplomatie» et «d’élégance» qui cache mal le malaise ambiant au sein de la Sar. D’après les investigations menées par L’Observateur, la démission du Dg de Locafrique est justifiée par une gestion qui ne lui inspirerait plus confiance et qui annonce une tempête qui pourrait être désastreuse pour la société nationale. Il relève des informations recueillies par «L’Obs» que la stabilité économique de la Sar n’est pas garantie. La faute, ajoute-t-on, à «des actes de gestion qu’on peut apparenter à un sabotage». «Il n’y aucune rigueur dans la gestion», appuie un cadre administratif. Les légèretés seraient plus graves dans la gestion financière avec un défaut de recouvrement injustifié. Une situation qui a plongé la Sar dans une sorte de «coma artificiel» alors que l’Etat a soldé tous ses comptes avec la société.
Retrait de la ligne de crédit de 163 milliards FCfa et annulation de la caution de 130 milliards FCfa
Ces difficultés et manquements sus-mentionnés et qui motivent la démission de Khadim Bâ du Conseil d’administration de la Sar pourraient se multiplier à l’infini, sauf si l’actionnaire revient sur ses intentions couchées dans son courrier. Dans sa lettre de démission, le Dg de Locafrique a formellement informé le Président du Conseil d’administration de sa décision de «retirer la ligne de crédit de 250 millions d’euros (environ 163 milliards FCfa) que (son) groupe avait gracieusement mis à la disposition de la Sar pour assurer ses importations en pétrole brut». Un premier coup de massue sur le fronton de la Sar. Avant qu’un deuxième ne vienne laisser entrevoir des dégâts incommensurables : «Je souhaite entrevoir avec vous dans les meilleurs délais les modalités pour l’annulation de la caution à hauteur de 130 milliards FCfa que j’ai personnellement souscrite auprès des banques, pour garantir l’utilisation de cette ligne de crédit dédiée aux importations de pétrole brut et qui, au demeurant, a permis d’assurer l’approvisionnement de la Sar en produits pétroliers pendant plus d’une année», écrit l’administrateur démissionnaire.
Ces décisions spectaculaires de Khadim Bâ annoncent des lendemains sombres pour la Sar. Car, c’est l’approvisionnement du marché sénégalais en produits pétroliers qui est aujourd’hui hypothéquée. Face au refus des banques de financer des activités de la Sar pour défaut de «crédibilité», Khadim Bâ s’était personnellement porté garant de la société auprès des banques, mais après constat des «écarts de gestion», «il ne veut plus prendre le risque de payer des pots qu’il n’a pas cassés», ironise un de ses proches. Le retrait de la garantie supportée par le Dg de Locafrique pourrait avoir pour conséquence directe l’arrêt des importations de produits pétroliers et une rupture dans l’approvisionnement en brut de centrales électriques au Sénégal. Sans compter une éventuelle perturbation de l’approvisionnement du marché en produits pétroliers et en gaz butane. Une perspective alarmante pour le pays, à moins que l’Etat ne s’engage à éviter le pire.
A l’époque du compagnonnage et des bonnes résolutions, Khadim Bâ augurait de lendemains meilleurs pour la mariée, à condition qu’elle reste dans le droit chemin de la bonne gestion. Dans un entretien accordé à L’Observateur (édition du 16 avril 2018), le Dg de Locafrique, enthousiaste à l’idée de relever ce fleuron national de ses insuffisances, jurait que «le déficit de la Sar n’existe que de nom. C’est (juste) de la mauvaise gouvernance. La Sar est la première société en cash du pays. C’est 400 milliards FCfa de chiffres d’affaires. (…) Avec le monopole de certaines importations et l’énergie dont tout le monde a besoin, la Sar ne peut pas être déficitaire. Concrètement, il y a des détournements qui sont en train d’être opérés au niveau de la Direction générale de la Sar». Mais aujourd’hui, le voilà qui s’en détourne, laissant derrière lui une Sar qui risque de plonger dans une nuit sans fin…
NDIAGA NDIAYE
Hypothèque sur les financements, investissements en sursis
L’annonce avait agréablement surpris le chef de l’Etat qui n’avait pas pu cacher sa joie. Son sourire en disait long sur sa satisfaction. C’était le 18 décembre 2018, au Forum des investisseurs privés à l’hôtel Salomon de Rothschild de Paris, Khadim Bâ lâche la bonne nouvelle : «Un financement de 46 milliards de FCfa est mise en place pour l’augmentation de capacité et adaptation au traitement du brut sénégalais.» Le Dg de Locafrique informait le chef de l’Etat du «financement de 76 millions d’Euros (environ 50 milliards de FCfa) obtenu en Afrique du Sud, en relation avec la Banque nationale pour le développement économique (Bnde), pour la construction d’un nouveau Sealine au large de Mbao pour la Sar et Senstock, avec le doublement du Sealine de gaz». «Une nécessité vitale pour la sécurité d’approvisionnement du pays», justifiait-il. Ces projets risquent de ne pas se concrétiser avec la décision prise par Khadim Bâ d’annuler la caution à hauteur de 130 milliards de FCfa qu’il avait personnellement souscrite auprès des banques pour garantir la ligne de crédit de 250 millions d’Euros (environ 163 milliards de FCfa).
Pourtant, cet investissement avait été fièrement chanté par le Directeur général de la Sar au Forum Africa Oil and Power qui s’est tenu au Cap en Afrique du Sud du 9 au 11 octobre 2019. Un contrat avait même été signé avec la société TechnipFmc. Un contrat qui entre dans le cadre de la stratégie de la première des raffineries installées en Afrique de l’Ouest, compte tenu du statut de pays producteur d’hydrocarbures qu’aura le Sénégal dans un court horizon. L’objectif étant d’augmenter la capacité de production de la Sar de 30%. «Le contrat s’intègre dans un projet de modernisation de la raffinerie, Sar 2.0, qui lui permettra de tenir le rôle prépondérant qui sera le sien dans l’exploitation de ressources exclusivement sénégalaises, à travers notamment une augmentation de la production. Celle-ci tournant autour de 1,2 à 1,3 million de tonnes par an devrait atteindre 3,5MMt/an à l’horizon 2025», annonçait le communiqué. Des projections à revoir avec la nouvelle donne.
ND.NDIAYE