Accusé à tort d’être le cerveau d’un réseau de Djihadistes sénégalais en lien avec Boko Haram, soupçonné d’être un “deum” (sorcier, anthropophage) dans son village local, l’Imam Alioune Badara Ndao (62 ans) a mené une vie de peine et de souffrances, celle d’un persécuté. Portrait d’un honnête citoyen, victime de la machine judiciaire et du préjugé humain.
C’était le suspect idéal ! Tout dans son profil psychologique et son allure (sa barbe blanche et son islam orthodoxe) semblaient mâcher le boulot aux enquêteurs et à l’Etat qui tenaient coute que coute à sacrifier sa liberté de culte sur l’autel d’un simulacre de lutte antiterroriste. Au départ de cette affaire aux allures de série hollywoodienne, Imam Alioune Badara Ndao était brandi par l’Etat du Sénégal comme un trophée de guerre. Diabolisé et présenté à la face du monde comme le cerveau d’un réseau organisé de djihadistes sénégalais en lien avec Boko Haram, celui que les enquêteurs surnommaient « Imam Aly » dans leur Pv très corsé, a vécu les pires supplices en prison.
Après deux ans et neuf mois de détention « arbitraire », les accusations de « financement du terrorisme et d’apologie au terrorisme » retenues contre lui, se sont écroulées comme château de cartes. L’affaire a fait pschitt à l’issue d’un procès surmédiatisé ! Puisque celui à qui on avait donné le profil de Oussama Ben Laden du Saloum, n’était en réalité qu’une victime. Un simple érudit de l’islam qui s’était retiré à l’extrême ouest de la ville de Kaolack pour fonder son petit village baptisé Ngane où il adorait Dieu avec ses condisciples. Il a d’ailleurs été acquitté avec 14 de ses 29 co-accusés, tout comme l’étudiant Saër Kébé et l’imam Boubacar Dianko, les premiers à subir le rouleau compresseur de la lutte antiterroriste.
« Je suis victime de terrorisme d’Etat »
Sa vie a basculé en octobre 2015, quand les redoutables éléments de la gendarmerie nationale ont profité du calme de cette nuit d’automne pour l’arrêter. « Quand les gendarmes sont venus pour m’arrêter, je croyais qu’ils étaient des agresseurs tant ils étaient violents. Je leur en avais même fait la remarque. C’était vers 3 heures du matin pour moi qui n’avais jamais eu maille à partir avec la justice. Je pense qu’ils doivent revoir leurs méthodes de travail », ressassait-il.
Les conditions de détention étaient encore plus infernales pour l’imam. Mais elles n’ont en rien entamé sa foi et sa détermination à surmonter, dans la dignité, cette épreuve. « C’était difficile, confie Imam Ndao ! Certains détenus ont du mal à vivre ces moments en prison. D’aucuns s’en sortent même avec un état de santé précaire ou avec un handicap qui fait que la victime ne peut plus reprendre normalement ses activités. (…) Moi, cela m’a permis de forger davantage ma foi en Allah ».
Haro sur le traitement médiatique de l’affaire
Malgré des conditions « inhumaines » de détention et une diabolisation à outrance, Imam Ndao a toujours clamé son innocence et dénoncé le traitement tendancieux fait par une certaine presse qui, selon lui, a été payé pour le dépeindre en monstre aux yeux de l’opinion pour faire passer la pilule. D’ailleurs, le maitre coranique a déposé deux plaintes sur le traitement médiatique de cette affaire de terrorisme. « Une partie des médias a fait son travail avec éthique et déontologie. Les réseaux sociaux aussi ont joué un excellent rôle dans ce dossier. Cependant, il m’arrivait d’être surpris en écoutant la radio, les comptes rendus de journalistes. C’était comme le jour et la nuit », proteste-t-il.
Pour son avocat Me Moussa Sarr l’objectif est clair : « cette affaire est l’affaire de l’Etat du Sénégal qui brandit ce dossier comme le bilan dans sa lutte contre le terrorisme. L’Etat du Sénégal avait pris Imam Ndao en otage pour faire plaisir à la France et à l’Occident ». Dans la presse comme dans le Pv d’audition, Imam Ndao est tantôt dépeint comme un Djihadiste sans cœur, tantôt comme un « chef religieux pacifique ». Une contradiction qui, selon l’avocat, en dit long sur les motivations des cerveaux de cette « machination » d’Etat.
« Il tient son Daara à Ngane (Kaolack) sur la route de Gossas à quelques encablures de la police de Ndorong, et aucun rapport d’enquête n’a été établi à son encontre. S’il était djihadiste, l’Etat du Sénégal aurait fermé ce Daara qui a 500 talibés ou les parents auraient retirés leurs enfants. Si l’établissement était un lieu d’endoctrinement, est ce qu’il abriterait une école primaire où les enseignants sont payés par l’Etat du Sénégal ? De plus, les policiers ont écrit dans le Pv qu’Imam Ndao est un chef religieux pacifique », lâche le conseil lors de sa plaidoirie qui a fait mouche puisque la justice a reconnu que son client n’était mêlé ni de près ni de loin à un quelconque projet terroriste.
Parcours d’un érudit
Né le 6 mai 1960 à Ndalane Malick dans l’arrondissement de Gandiaye, situé au département de Kaolack, Imam Alioune Badara Ndao a suivi les traces de son père, El hadji Ousmane Ndao, maître coranique dans le Saloum et qui était un des plus proches disciples de El Hadji Malick SY. Sa maîtrise du coran et de la science islamique est la consécration d’une très longue quête qui a débuté dans le très réputé Daara de Koki chez Mouhammed Sakhir Lô qu’il a intégré à l’âge de 6 ans. Son amour pour les textes saints a été très tôt détecté. D’ailleurs, il lui aura suffi 3 ans pour mémoriser le Saint Coran.
Après un passage au Daara de Serigne Mor Mbaye Cissé de Ndiarème où il a intégralement écrit deux versions du Saint Coran Warch (Maghreb) et Hafse (Moyen orient), il parachève ses études en sciences islamiques à l’école Abdoulaye Niass de Kaolack. Avant de remporter haut la main un concours organisé par la Ligue mondiale islamique en sortant major. Il subira par la suite une formation de deux ans en Mauritanie. Puis s’envole pour l’Arabie Saoudite pour un perfectionnement.
A son retour, il s’engage à perpétuer le legs de ses aïeux à savoir l’enseignement de la parole divine. Une trajectoire qui jure avec le portrait de sanguinaire qu’on voulait vaille que vaille lui dresser. Ce polygame (il a quatre femmes : Nogoye Ndao, Aîssatou Ndao, Aïda Ndao et Socé Samb), père de famille XXL (il a 16 enfants), est un citoyen au comportement exemplaire dont la vie tournait autour de l’adoration de Dieu, la transmission de l’éducation islamique et l’agriculture. Il tire ses revenus principalement de l’exploitation de la dizaine d’hectares qu’il cultivait avec ses talibés à Ngane où il a essuyé toutes sortes de quolibets, même des accusations d’anthropophagie (Deum, en wolof).
Ce village où la vie tourne, depuis sa création, autour du guide religieux, se retrouve orphelin à l’instar des 500 élèves qui venaient s’abreuver à la source spirituelle de l’Imam Ndao, décédé à l’hôpital Fann, ce mardi 6 septembre 2022 à l’âge de 62 ans. Sa famille ne sera peut-être pas indemnisée par l’Etat après le préjudice qu’il a subi. Mais, elle (sa famille) pourra se contenter de la cagnotte lancée quelques heures avant sont décédés et qui s’élève à plus de 20 millions de francs Cfa.