Infidélité, inceste, pression sociale… : Ces drames sociaux que les Sénégalais exposent en « Ano » sur la toile !

Décidément la libération de la parole en mode anonyme est une tendance au pays de la « Soutoura » et du « Kersa. » En quelques clics les Sénégalais se sont passés le mot sur la toile devenue le cadre privilégié pour délier les langues sans filtre, parfois à outrance, loin des préjugés de la société. Sous couvert du manteau épais de l’anonymat, les gens se lâchent, parlent et exposent leurs plus sombres secrets. Mais pourquoi ? Quel est le véritable but recherché par ces adeptes de ces confessions intimes ? Des histoires souvent très « salées » et à la limite des bonnes mœurs sénégalaises… Il n’est plus rare de tomber sur des publications rocambolesques qui vous plongent au cœur des foyers et leurs lots de problèmes les uns plus insolites que les autres. S’agit-il d’un phénomène nouveau au Sénégal ou d’une pratique ancienne modernisée via les réseaux sociaux ? Certains y voient une importation de pratiques étrangères, tandis que d’autres considèrent qu’il s’agit d’une évolution culturelle.

« Je me retrouve entre deux sœurs et leur maman, toutes enceintes de moi ! » 

« La maman est une femme d’affaires dont le business marche très bien. C’est avec sa plus jeune fille que je sortais, ensuite j’ai eu des sentiments pour la grande sœur, à ma grande surprise elle aussi était amoureuse de moi en cachette. Je sortais avec les deux pendant deux ans. C’est en ce moment que leur maman est venue m’avouer ses sentiments. Elle m’a dit qu’elle a des sentiments pour moi et a loué un appartement pour moi. Elle m’a acheté une nouvelle moto. Elles (les deux sœurs et leur mère) font des tours chez moi toutes les trois. Je fais tout pour qu’elles ne se croisent pas chez moi. Mais je ne sais pas jusqu’à quand ça va tenir. Comme si cela ne suffisait pas, les trois m’ont annoncé leur grossesse en l’espace de deux mois. Je suis vraiment dépassé. Moi-même je ne travaille pas, c’est la maman qui me gère. Actuellement j’ai simulé un voyage pour aller me cacher chez un ami. Les trois n’arrêtent pas de m’envoyer des messages d’amour en me demandant quand je vais rentrer. Je ne sais plus où aller. Dougou na ci louma xamoul walaye » se confie le jeune Don Juan à la gâchette facile.

Entre le besoin irrépressible de soulager une conscience perturbée par un flot de remords et l’envie de recueillir l’avis des internautes toujours prompt à prodiguer des leçons de vie en bon moralisateur à la critique facile, la fiction et le fantasme s’entremêlent constamment. La frontière est mince ! A la limite on préfère se réfugier dans le déni tant l’atrocité de la plupart des histoires laisse les lecteurs sous le choc. Est-ce bien au Sénégal que cela se passe ? Il est alors important de s’interroger sur les véritables raisons qui poussent une grande partie de la population à se laisser aller sans garde-fou, sur ce terrain glissant… Au pays de la Teranga et des bonnes mœurs, nous assistons depuis quelque temps à la recrudescence de ce phénomène étonnant sur les réseaux sociaux. D’ailleurs il est important de souligner que la plupart des administrateurs de ces pages ne sont pas très volubiles quand il s’agit de répondre à quelques questions liées à leur activité.

Malgré leur « accessibilité », il est difficile de les contacter. À vrai dire, mis à part collecter et relayer ces récits, ils ne sont pas trop dans la confidence. Un paradoxe qui ne s’explique pas. Le terme « Ano » désigne précisément des témoignages anonymes, souvent à caractère intime et tabou, que des internautes désemparés et en quête de solutions miracles, partagent principalement sur des pages Facebook, Instagram ou TikTok. Pour ce faire, il suffit de disposer d’un compte personnel, souvent ouvert par le biais d’un pseudonyme, se connecter via son smartphone et contacter les administrateurs de pages afin de leur soumettre gratuitement son « cas. » Des cas désespérés, parfois délirants et insolites mais aussi souvent des histoires dramatiques qui disloquent sournoisement des familles entières. Et, c’est par dizaine que l’on tombe sur ces plateformes numériques, le « divan du psychologue » où les publications « Ano » sont triées sur le volet par les admins, selon la pertinence et la sensibilité du contenu et parfois selon la conformité à certaines règles de base.

« À 13 ans je suis tombé enceinte de mon père… » 

Le boom des “Ano” sur internet pose aussi la question de la véracité de ces témoignages. Entre vrai récit personnel et pur fantasme, la frontière est souvent ténue. « Mes trois enfants sont en réalité mes frères aussi », cet intitulé qui dépasse l’entendement est le fruit d’un douloureux post effectué dans l’anonymat, par une fille dévastée par les conséquences sournoises de l’inceste. Elle se confesse…

« J’étais très proche de mon père. Très jeune, il a commencé à sortir avec moi. Au début je ne comprenais pas trop ce qui se passait, je me disais que c’était de l’amour paternel, au fil du temps j’ai commencé à apprécier ce qu’il me faisait. À 13 ans je suis tombé enceinte de mon père, il m’a convaincu de dire que j’ai plusieurs petits amis et que je ne connaissais pas l’auteur de ma grossesse. Ma mère s’est mise dans tous ses états et mon père s’est acharné sur ma mère en lui rejetant la faute, qu’elle ne m’a pas bien éduquée. Après mon accouchement j’ai commencé à aimer sérieusement mon père, je le voyais comme un mari, je suis allée jusqu’à jalouser ma mère. Mes deux grossesses qui ont suivi, je collais toujours la grossesse à un petit ami du dehors sous le commandement de mon père, mais à chaque fois ils ont nié la grossesse. J’ai 22 ans aujourd’hui avec trois enfants, tous conçus avec mon propre père. Je ne sais pas si ma mère est au courant de quelque chose mais je ne l’ai jamais soupçonnée d’être au courant de quoi que ce soit. Depuis des années, je voyais mon père comme un mari, je pensais qu’il m’aimait sincèrement et qu’on finirait par fonder une famille mais c’est que j’ai vue récemment m’a totalement bouleversée. Je l’ai surpris en train de faire la même chose à ma petite sœur de 11 ans, il m’a trahie et dégoûtée, il est en réalité un pervers et j’ai envie de le dénoncer, porter plainte contre lui si c’est possible. Mais j’ai très peur des conséquences, notamment pour ma mère car elle est très fragile. J’ai vraiment besoin de conseils » lance-t-elle au bout du désarroi.

C’est à peine imaginable comme situation tant le niveau de perversité est élevé. L’un des aspects importants à souligner est que ces publications anonymes émanant de toutes les couches sociales (pauvre, riche, jeunes et adultes), suscitent incontestablement un réel intérêt et un engouement sans précédent. Mais pourquoi ? Un certain voyeurisme collectif pourrait expliquer cette attirance des internautes vers ce monde des ténèbres. Certes, tout n’est pas que sexe et déviance dans les « Ano » qui traitent de toutes les thématiques.

Néanmoins, le public virtuel raffole de ces histoires divertissantes qu’on peut consommer discrètement derrière son petit écran. Tous genres confondus et parfois avec des individus assez jeunes, homme, femme et adolescents sont à la fois des lecteurs assidus et souvent des victimes en quête de soutien moral et psychologique. « Ma femme me trompe avec mon propre frère est-ce que je suis encore capable d’aimer ? » Une déchirante interrogation venant d’une publication postée sur la toile, par un mari cocu.

 « Ma femme me trompait avec mon propre frère ! » 

« J’ai vécu une histoire qui a bouleversé ma vie de manière irrévocable. J’étais marié à une femme que j’aimais plus que tout au monde, et j’avais une relation très proche avec mon frère. Tout semblait parfait, jusqu’à ce que je commence à remarquer des signes troublants dans le comportement de ma femme. Elle était distante, préoccupée, et je la surprends souvent à chuchoter au téléphone. Au fond de moi, je savais qu’il se passait quelque chose de pas net. Un jour, je suis rentré chez moi plus tôt que d’habitude et j’ai découvert ma femme et mon frère, dans ma chambre, sur mon lit. Le choc et la douleur que j’ai ressentis étaient indescriptibles. Ma femme me trompait avec mon propre frère !J’ai failli faire une bêtise, mais leurs excuses ne pouvaient pas effacer la trahison que je ressentais. J’ai pris du recul et coupé tout contact avec eux. Malgré l’amour que j’avais pour ma femme et mon lien fraternel avec mon frère, j’ai décidé qu’il était temps de tourner la page. La douleur était immense. Je me suis promis de ne plus jamais permettre à quelqu’un de me trahir de la sorte. Cette épreuve m’a appris que la confiance est fragile, on peut même être trahi par ceux qu’on aime le plus au monde » se désole le jeune homme.

Quelque part, si les « Ano » connaissent ce franc succès c’est parce qu’ils sont perçus comme un produit de consommation destiné à satisfaire la boulimie des amateurs de potins croustillants et autres scandales retentissants. On aime jouer au voyeur qui s’immisce sans prévenir dans le foyer du voisin pour y épier ses faits et gestes, découvrir ses plus sombres secrets. Par conséquent, le père de famille incestueux, le mari infidèle ou cocu, la femme cougar du quartier et le tonton « Sai Sai » sont constamment dénoncés et vilipendés sur la toile. Les internautes s’en délectent et dévorent ces récits sournois, sans modération.
D’aucun se plaisent même à donner allègrement des leçons de vie et des conseils avisés qu’on ne s’applique pas forcément à soi-même. Les pseudos experts en situation matrimoniale et psychologue du dimanche s’en donnent à cœur joie ! Si certains récits font ressortir une sorte d’empathie générale pour les victimes qui souffrent en silence dans la promiscuité des foyers, la plupart des « cas » sont traités avec dédain et mépris par les internautes qui s’érigent parfois injustement en juge. D’ailleurs, ce n’est pas par hasard que l’on retrouve souvent ces formules à la fin des publications anonymes ; « Ne me jugez pas », « Je cherche des conseils », « Je ne sais plus quoi faire ! »

C’est le cas de Francine, certainement un pseudo utilisé pour publier cet « Ano » pour le moins troublant, sur une page Tiktok dénommée « Topp cas » elle se livre….

« Je suis tombée enceinte de mon élevé de 19 ans… »

« J’ai 38 ans, je suis en thèse de doctorat sans emploi fixe. Je passe mon temps libre à donner des cours de vacation dans une école de la place (classe 4eme, 1ere et Terminale…) Durant mes séances de cours en classe de terminale, j’ai été accosté par un élève de 19 ans…il est très assidu, propre et sympa…. Au départ, j’ai repoussé ses avances. Mais au fil du temps je suis tombé sous le charme… Nous avons commencé à sortir ensemble……au point où nous avons couché ensemble. Ouufff le gars est très doué… La première fois qu’il a voulu qu’on passe à l’acte j’ai hésité mais au final je n’ai pas regretté car c’était tellement sucré…ces ainsi qu’au fil du temps je suis devenue accro à lui… Malheureusement quelque temps après j’ai cessé de voir mes règles…et j’ai un retard de près de 03 mois. Et il dit qu’il n’est pas le responsable de ma grossesse. Je ne sais pas par où commencer Dois-je enlever ou garder la grossesse ? Je rappelle qu’il n’a pas obtenu son baccalauréat ? Donc il redouble. J’ai besoin de vos conseils s’il vous plaît Je l’aime et j’ai peur de le perdre » conclut la jeune femme qui s’est engouffrée dans un sacré dilemme.

Vrai ou faux, la distinction est difficile. Comment cette libération de la parole s’est-elle soudainement effectuée ? Pendant longtemps, le “soutoureu” (le silence et la tolérance) et le “kersa” (la pudeur) ont souvent empêché les Sénégalais d’exposer publiquement leurs problèmes personnels. Cependant, les réseaux sociaux semblent avoir bouleversé ces codes culturels, offrant un espace d’expression inédit et particulièrement accessible ! Facebook, TikTok et Instagram, les “confessionnaux” des temps modernes Sur ces plateformes, des internautes se confient sur des sujets aussi salaces qu’insolites : infidélité, violence conjugale, inceste, dépression, conflits familiaux, pratiques sado-maso, pression sociale etc.

« Sama Papay dieukeur momay teudé ndakh sama dieukeur dafa Yoom ! (Mon beau-père couche avec moi parce que son fils (mon mari) est impuissant !) 

Un autre scandale certainement étouffé au sein des familles où ces véritables bombes à retardement menacent d’exploser à tout moment au grand jour.

« Je vis une situation très bizarre, perverse et choquante à la fois (…) Mon mari est impuissant. Durant toute sa jeunesse il s’est adonné à la masturbation ce qui a fini par le rendre complètement impuissant. Pour étouffer l’affaire, à chaque fois son père me disait que c’était à moi d’être compréhensive et de tout faire pour garder le secret et préserver la dignité de son fils. Et, que c’est lui qui prendrait la place de mon mari pour assurer le devoir conjugal. C’était en 2018, maintenant j’ai deux enfants avec mon beau-père et personne n’est au courant de cette histoire. Je n’ai personne à qui me confier. Son fils est au courant de tout. Maintenant, je ne supporte plus de voir mes enfants. La nuit je n’arrive pas à dormir, je n’ai nulle part où aller… Ne me jugez pas, diaxlé rek moma fii indi » confesse la victime.

Le cadre familial ne semble plus assez sécurisant et fiable pour soulager sa conscience avec ses proches qui parfois sont à l’origine de ces abus. Quelque part, les « Ano » sont devenus un fourre-tout où on y retrouve n’importe quoi ! Cette libération abusive de la parole n’est pas sans risque. Certaines valeurs morales propres à la société sénégalaise sont bousculées, au point que l’on craigne même leur disparition progressive. Par ailleurs, les dérives potentielles (diffamation, diffusion de fausses nouvelles, harcèlement, collecte illicite de données personnelles etc.) soulèvent des questions d’encadrement juridique.

Au final, le phénomène des “Ano” traduit quelque part une évolution des mentalités au Sénégal, avec ses zones d’ombre et de lumière. Une tendance lourde, qui questionne les fondements même de la société sénégalaise. Loin d’être l’apanage d’une frange de la société, ces confessions en ligne semblent traduire un mouvement plus large de remise en question des tabous et de la pudeur traditionnelle sénégalaise. Une évolution qui n’est cependant pas exempte de risques et de dérives potentielles.

Mouhamadou Moustapha GAYE

 

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